Voilà les grosbecs, maxi pifs et gros bidons.
Les grosbecs regagneront bientôt leurs forêts secrètes pour nicher. Et si vous profitiez de février pour guetter leur bouille incomparable ?
Les grosbecs regagneront bientôt leurs forêts secrètes pour nicher. Et si vous profitiez de février pour guetter leur bouille incomparable ?
« C’est encore l’hiver », scandent les plus frileux… « Voilà le printemps », arguent les optimistes… La nature au jardin n’a que faire de tels postulats binaires : son calendrier défile au rythme des transitions lentes et des nuances discrètes. Si la haie défeuillée ne masque ni la mésange engourdie ni le vieux nid moussu du merle, notez qu’elle diffuse un pollen d’or à chaque courant d’air. Eh oui ! Pour le noisetier garni de fertiles chatons, les jours lumineux sont bel et bien arrivés. Et ces quelque 3 °C sous le zéro n’y pourront rien changer. Quelques « Pix pix pix ! » aigus et explosifs, semblables à ceux d’un rougegorge muni d’un porte-voix, retentissent à la cime d’un frêne. Un groupe de quatre grosbecs ! Aussitôt posés, aussitôt repartis tels des missiles, direction le bois voisin. D’où viennent-ils, où filent-ils ? Si leur boussole est déjà braquée sur le nord-est, ils ne reviendront pas. Si en revanche leur ventre crie famine ou si le thermomètre les retient, parions qu’ils visiteront les mangeoires du village.
C’est une péninsule !
Tel un Cyrano à plumes, le grosbec casse-noyaux est bien souvent réduit à la taille et aux pouvoirs extraordinaires de son bec. Son nom scientifique coccothraustes est par exemple issu du grec ancien kokko et thraústēs : celui qui broie les noix ou les graines. Chez nos voisins allemands, le Kernbeißer est un mordeur de noyaux. Les Anglais décrivent plutôt un hawfinch – pinson des aubépines – alors qu’ils réservent le terme grosbeak au durbec des sapins et aux autres grosbecs du monde.
Après une tournée express dans les plus grands arbres des parcs alentour, revoici la bande d’obus emplumés. En vol, les grosbecs ont toujours l’air décidés, poursuivant une trajectoire directe, bien que légèrement ondulante, en raison de l’alternance entre battements d’ailes rapides et courtes pauses plongeantes. Une observation superficielle pourrait évoquer des étourneaux ramassés, vêtus comme des pinsons. Aux jumelles, barres alaires et bande caudale blanches sont toutefois immanquables.
Le dodu fringille n’est pas exhibitionniste pour un sou et il offre rarement mieux qu’un bref aperçu de sa prestance. En plus de vivre la moitié de l’année caché en forêt, l’oiseau dédaigne la montagne presque autant que les régions atlantiques et méditerranéennes. Ne vous attendez pas à le débusquer grâce à son chant, car le plus timide des ménestrels forestiers est aussi l’un des plus avares en ritournelles. Aux manières farouches de nos grosbecs autochtones, ajoutez les caprices de leurs cousins orientaux qui ne migrent en nombre chez nous qu’occasionnellement, lorsqu’ils sont contraints par le blizzard ou la disette. En clair, si l’opportunité d’un face-à-face avec le casse-noyaux se présente à vous, saisissez-la !
Après une halte d’inspection à la tête de l’aîné des sycomores, le gang des gros pifs se planque dans l’aubépine qui domine la mangeoire la plus garnie du quartier. Alors que verdiers, mésanges charbonnières et pinsons des arbres se régalent depuis les premières lueurs du jour, il faudra plus d’une heure aux costauds pour oser descendre à hauteur d’homme.
Branle-bas de combat : le premier grosbec atterrit sur le plateau de contreplaqué avec la délicatesse d’un hélico. Les graines volent au large. A l’exception d’un courageux verdier agrippé, tout le monde décampe. Bec ouvert et ailes déployées, le viril joue de son embonpoint avec ostentation. Il faut dire que ses 60 g valent deux moineaux ou six mésanges bleues. Pour ce caïd aux mâchoires surpuissantes, les graines de tournesol font figure de vulgaires chips. Malgré tout, la clique des affamés en tout genre se reconstitue petit à petit sur le resto du cœur des piafs. Les autres casse-noyaux glanent au sol. « Siiii siiiii siiiiiii », alertent les mésanges. L’épervier passe comme une fusée… Tout le monde aux abris. Il n’en faut pas moins pour refroidir les quatre faux durs qui déguerpissent dans la seconde.
L’escadron fuyard prend de l’altitude et les cris de contact semblent dire « On y va ! ». Le GPS est programmé sur la forêt polonaise de Bialowieza, avec escales plus ou moins longues sur le plateau suisse, en Bavière et en Tchéquie selon la météo. Dans un peu plus d’un mois, les vagabonds retrouveront leur paradis de grands chênes mêlés de charmes, érables, aulnes et tilleuls. Dans cette région, on constate les plus grandes densités connues, hissant le grosbec à la troisième place des oiseaux les plus abondants.
Là-bas, les arbres sont libres de vieillir et de s’élever vers le ciel, ils peuvent héberger les nids du casse-noyaux jusqu’à 35 m de hauteur. Ce type de forêt de plaine, quasi primaire, est le milieu originel de l’espèce. Le grosbec subsiste tout de même plus près de chez vous dans des boisements devenus ordinaires : plantations, parcs urbains, vergers… Il y fréquente des étages inférieurs, mais n’imaginez pas l’observer facilement pour autant : il y est bien plus rare.
Un « Siiiisk siiisk » fin et suraigu comme celui du merle perce le brouillard givrant. Le cri de vol des grosbecs ! Une nouvelle troupe à peine visible et nettement plus nombreuse s’éloigne vers le sud. D’où viennent-ils, où vont-ils ? Ces mêmes questions entourent le mystérieux passereau, voisin si farouche. Promettez-vous, au premier printemps, de partir à sa quête, chez lui, dans les bois.
Sac à graines
Le grosbec se régale des amandes protégées dans les noyaux de toutes sortes de baies. Selon les saisons, guettez ce gourmand sur les talus des routes forestières, à la cime des feuillus ou au sol en plein bois. Au menu, faînes de hêtre, samares de frêne ou d’érable, akènes de tilleul ou de charme, cônes d’aulne ou fruits de peuplier. Le tournesol dépanne pour passer l’hiver. A l’instar de beaucoup de granivores, le grosbec complète ce régime avec des insectes en été.
Mâchoires d’acier
Forte tête, cou épais et mandibules aussi hautes que larges, la silhouette du grosbec annonce la couleur. Estimée à 30 kg/cm2, la pression exercée entre ses mâchoires lui permet de briser les noyaux de fruits. Une spécialisation unique parmi les oiseaux de la forêt. Pour apprécier cette prouesse, tentez de briser un noyau avec un casse-noix. Pas facile !
Baby flop
Ratant en moyenne les deux tiers de ses nichées, le grosbec est l’un des plus piètres reproducteurs parmi nos passereaux. Pourquoi ce terrible palmarès ? Les chercheurs pointent d’une part les années de disette liées aux ravages des chenilles papillons géomètres sur les feuillus, d’autre part la prédation des corvidés comme le geai des chênes. A cela, il faut ajouter que le grosbec ne fait qu’une seule nichée par an.
Zèle vestimentaire
Si vous avez la chance de voir le grosbec de près, admirez la forme unique de la pointe de ses rémiges primaires internes. Et profitez-en pour détailler les rémiges secondaires qui vous renseigneront sur le sexe de l’oiseau. Pour cela, repérez le rectangle de plumes de même longueur serrées les unes contre les autres au centre de l’aile pliée. S’il est sombre, c’est un mâle. S’il est liseré de blanchâtre, c’est une femelle.
Des hauts des bas
Les populations de grosbecs fluctuent en fonction de l’abondance de la nourriture, des conditions d’hivernage et de l’évolution de la forêt. Pour compliquer le tout, leur discrétion brouille leur recensement. En Suisse, le dernier atlas annonce entre 13 000 et 17 000 couples de casse-noyaux, en expansion vers l’altitude avec une croissance de 20 % des effectifs dans le Jura et les Préalpes. La France abrite pour sa part entre 60 000 et 100 000 couples, en expansion vers le sud et l’ouest. En Angleterre, le destin du grosbec n’est pas rose et le hawfinch a décliné de 76 % ces quarante dernières années.
Oiseaux des mangeoires
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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